Volume sous la direction de Moniques Richard (Université du Québec à Montréal) et Martin Lalonde (Université du Québec à Montréal)
Le volume 21 de la revue Multimodalité(s) porte sur le thème des amalgames et s’inscrit, pour cet appel, à la jonction des domaines de l’art et de l’éducation à partir de croisements de genres, de modes et de pratiques en création et en recherche. Ces croisements sont autant de façons d’associer, combiner, hybrider, remixer, etc., des éléments variés. L'amalgame a ceci de particulier qu'il mélange ou fusionne intentionnellement des éléments de nature hétérogène pour produire un effet par une rencontre inédite. Ces éléments peuvent être un code, un signe, un mot, une image, une matière, un objet, une personne; ils peuvent créer un effet de surprise, de contraste, de confusion, de déconsidération même, ou autre. L'amalgame favorise ainsi « la circulation de l’imaginaire en dehors d’un cadre trop souvent dominé par des préoccupations disciplinaires » (Richard, 2015).
Cet appel prend également en considération la création et la recherche comme des pratiques. Dans son sens commun, une pratique se définit comme une activité « qui vise à appliquer une théorie ou qui recherche des résultats [...] dans le domaine concret de l'expérience » (CNRTL). Ces pratiques peuvent donner lieu à des activités artistique, médiatique, éducative, scientifique, ludique, mixte, etc. En mettant en œuvre des processus d’expérimentation, des règles ou des techniques guidés par une intention de départ, une agentivité et une distanciation critique, la création comme pratique s’accomplit surtout par une emphase sur « l’agencement d’éléments sensoriels et sémiotiques pour évoquer une certaine sensibilité au monde (Rancière, 2000; Richard, 2016; Veron, 1985); la recherche, par une « production de connaissances transmissibles et transférables » (Bouhedi, 2017). Les deux pratiques peuvent aussi donner lieu à une « formalisation de l’expérience » sans une intention de production précise (Brugère, 2009), tout en favorisant la « rupture » comme acte créateur (Beacco, 2017; Molinet, 2006) ou la « résistance aux idées reçues » (Richard et al, 2022). Elles vont bien au-delà de simples applications de processus, d'analyse de résultats ou de conservation du statu quo.
Le thème s’arrime aussi à la multimodalité dans son sens large puisqu’il touche à la fois aux dimensions sémiotiques, sensorielles, matérielles, spatiales et temporelles, dynamiques ou techniques des pratiques de création et de recherche, et aux activités qui y sont liées. Il s'intéresse aussi à la multimodalité des productions qui résultent de la mise en œuvre de ces pratiques, de la conception à la diffusion, sous divers genres et croisements de genres (par ex.: liste, carte conceptuelle, black-out poésie, portrait, catalogue, cabinet de curiosités, etc.).
Le volume Amalgame s’insère ainsi dans la lignée de trois volumes récents de la revue : sur le thème de l’éclatement générique (vol. 18), en abordant « “l’émergence, le bourgeonnement, la floraison de combinaisons inédites” (Béhar, 2010, p. 49), littéraires, artistiques et médiatiques, qui décloisonnent, ébranlent, reconfigurent ou réaffirment les horizons génériques » (Acerra et Boutin, 2023); sur la sémiotique de terrain (vol. 17), en retenant « la nécessité d’hybrider les approches » qu’elles soient sémiotiques ou méthodologiques (Saemmer et Tréhondart, 2023); sur la créativité (vol. 16), en s’intéressant à la « continuité parmi les modes d’action et de pensée » (Brunel et Lemieux, 2023).
Toutefois, ce prochain volume se penchera plus particulièrement sur les pratiques de création et leur impact sur les pratiques éducatives et de recherche. Ces pratiques présentent entre autres des perspectives inédites pour étudier comment des moyens techniques émergents transforment les pratiques de création et de recherche dans une optique interdisciplinaire. De plus, les amalgames créés par les artistes, pédagogues ou scientifiques dans leurs pratiques ne vont pas sans soulever des questions pragmatiques, esthétiques et éthiques. Ils peuvent confronter les contextes réel et virtuel, naturel ou artificiel, la surconsommation et l'improductivité, l'authenticité et l'emprunt, allier sollicitude et émancipation, falsification et véracité, alterner rapidité et lenteur, individualisme et collectivité.
À partir d’approches méthodologiques mixtes et innovantes du point de vue des traditions disciplinaires et du point de vue de la posture épistémologique, nous invitons les auteur·ice·s à révéler les processus combinatoires en action dans leur création et/ou leur recherche tout en abordant les enjeux sociaux, éducatifs ou culturels qui se dégagent de leur pratique. Ces approches seront choisies pour leur capacité à s’adapter aux besoins des pratiques de la création et de la recherche en art et en éducation, ainsi qu'à ceux exprimés par les acteur·ice·s et/ou les partenaires. Inscrit dans un contexte sociétal uniformisé, marchandisé et dans lequel résonne un bruit médiatique de plus en plus assourdissant, la thématique de l’amalgame se justifie par le besoin de « faire du sens », de décoder et de partager des fabrications créatives et signifiantes, tout cela avec une certaine « lenteur » et un certain recul face aux nombreux changements qui s’opèrent aujourd’hui à un rythme effréné.
La thématique proposée se déploie en trois axes de création et de recherche décrivant des amalgames spécifiques: 1) génériques et culturels; 2) méthodologiques; et 3) contextuels et technologiques. Les articles soumis peuvent s’arrimer à un des trois axes en particulier, en combiner deux ou trois ou bien développer un nouvel amalgame pertinent aux pratiques étudiées. Ils peuvent prendre une forme scientifique classique (problématique, cadre théorique, méthodologie, résultats, etc.), ou bien celle d’une documentation de pratique (portrait du milieu, cocréation du projet, description du processus, analyse des productions, description de cette forme ici) ou encore s’adapter à la méthodologie hybride choisie.
1. Amalgames génériques et culturels
La théorie des genres comme catégories ou système de classification a une longue et chaotique histoire répartie, surtout depuis l’avènement de diverses technologies numériques, entre diverses disciplines ou de façon interdisciplinaire (Dowd et al, 2006). En études littéraires (Genette et al, 1986), le genre constitue traditionnellement une sorte de mise en forme d’un ensemble de caractéristiques, de procédés, de règles et de structures récurrents entre les éléments déterminants qui le composent; à la lumière des nouveaux déploiements du numérique s'opère aujourd'hui l'éclatement et la recombinaison de ces éléments constitutifs, la révision de l'histoire(s), des contextes et des productions littéraires, de même qu'à la création de nouveaux genres composites (Acerra et Boutin, 2023; Bluijs, 2021; Hayles, 2008). En art, il répondrait aussi à un « besoin inscrit au plus profond de l’organisme enclin à utiliser des espaces symboliques comme ancrage d’un continuum interne » (Paquin, 1997). Ces éléments constitutifs peuvent varier selon le champ de référence (thème, modalité, forme, valeur, style, configuration, fonction...). Cependant, selon Dowd et al (2006), quelle que soit la discipline, le genre importe toujours parce qu'il permet à la personne à l’origine de la création ou de la réception d’une pratique ou d’une production de s’inscrire dans une continuité historique et culturelle, mais aussi de s’en détacher, voire de la transgresser; il dépend aussi de son potentiel de reconnaissance et de signifiance selon les attentes et les désirs dans la création ou la réception; il se définit autant par sa conformité aux normes, par sa transformation en un autre genre que par son exclusion d'autres formes. Au-delà des complexités de nomenclature et de classement, cette notion fédératrice et transversale devrait permettre aux auteur·ices d’aborder les amalgames de genres comme générateurs de création, tout en tenant compte des tensions et des chocs qu’ils provoquent dans leurs pratiques, en croisant entre eux des genres (artistique, médiatique, scientifique, ludique, scolaire, vernaculaire, populaire, etc).
2. Amalgames d'approches méthodologiques
Depuis quelques années se développent des approches méthodologiques hybrides sortant des cadres traditionnels définissant les pratiques, qu’on pense à l’ARTographie, la cocréation, la recherche-action participative, la recherche-création, la recherche design, la slow research, etc. Pour certain·e·s, le processus artistique est en soi une forme de recherche (Goessling et al, 2022). Ce processus contribue également à la recherche-création qui s’est implantée depuis les années 1990 au cœur de nombreux programmes de recherche et de formation universitaire, pour étudier le processus de création à l'œuvre, surtout dans la création artistique (Pluta et Losco-Lena, 2015). On observe aussi de plus en plus de projets où les méthodes de la recherche-création s’immiscent dans la recherche en éducation, et où les activités de diffusion des résultats et de transferts des connaissances s’appuient sur des pratiques créatives réalisées par et avec les participant·e·s des recherches. Aujourd’hui, des instances gouvernementales mettent en place des programmes de financement de la recherche et de la création qui valorisent et encouragent la créativité des chercheur·e·s en les invitant à sortir des structures traditionnelles de recherche et à faire preuve d’inventivité dans leur pratique, d'où la diversité des méthodologies. Selon Fourmentraux (2014), la trilogie interdisciplinaire art, science et technologie (AST) représente d'ailleurs « un lieu stratégique pour repenser de façon plus générale les modes d’organisation du travail (Menger, 2002; Fourmentraux, 2011) et les modes de production du savoir (Risset, 1998; Dautrey 2010) » (p.113).
3. Amalgames contextuels et technologiques
Les contextes de pratiques et de production se transforment constamment depuis le début du XXIe siècle. Les contextes réels se sont vus démultipliés par les contextes numériques, et ces derniers sont nombreux (réalité augmentée, réalité virtuelle, intelligence artificielle, etc.). Ainsi les technologies des réalités étendues (RX) nous font entrer dans la troisième phase de la révolution numérique, soit celle de la spatialisation d’Internet ou du web 3.0 (Ivanova et Watson, 2021). Quant aux arts immersifs, ils estompent encore davantage les frontières entre l’art et la vie en proposant des expériences où l’espace et la temporalité des œuvres englobent littéralement le corps du spectateur (Bernard et Andrieu, 2015). Dans ce nouveau type d’expérience, le spect-acteur·ice n’est plus seulement le témoin d’un événement esthétique, il habite un espace interactif qu’il active par sa présence corporelle, son mouvement et ses actions. De telles conditions ouvrent de nouveaux possibles tant du côté de la création que des dispositifs de recherche, de consultation et d’interaction avec des données et des contenus spatialisés. Les œuvres hybrides qui résultent de cette interpénétration rendent irréversible le morcellement des anciennes frontières opposant art et science (Fourmentraux, 2014).
Les résumés ou propositions sont à envoyer d’ici le 15 mars 2024, à l’adresse revuemultimodalites@gmail.com. Il vous est demandé un court texte de 500 mots accompagné d’une brève biographie. Un avis d’acceptation ou de refus sera envoyé en mars (un avis positif sera un encouragement à soumettre un article complet, mais ne signifiera pas automatiquement l’acceptation de ce dernier).
Calendrier de publication
- Réception des résumés : 15 mars 2024
- Envoi de la première version des articles : juin 2024
- Publication : été 2025
Consignes aux auteur.ice.s pour l’article complet (si proposition retenue)
- Longueur : 45 000 à 60 000 caractères, incluant les espaces (15 à 20 pages sans les références et sans les annexes)
- Formats de documents acceptés : Word (.doc, .docx) ou Open document (.odt)
L’inclusion d’images, de sons, de vidéos ou autres est fortement encouragée. Ces ressources (multi)modales devront être fournies dans un dossier à part si l’article est accepté. L’inclusion de liens directs vers les sources, concepts ou objets nommés, en plus de leur mention en bibliographie finale, est recommandée.
Les consignes complètes pour la soumission d’un article sont disponibles sur le site de la revue.